CGT du Crédit Agricole Des Savoie

L'émotion et la démocratie

On assiste ces jours-ci à un mouvement absolument sans précédent dans la justice. Une centaine de tribunaux décrétant la grève des audiences, des syndicats unanimes appelant toutes les professions à une journée nationale de protestation, du jamais vu dans le monde judiciaire. A l’origine de cette mobilisation exceptionnelle, l’intervention du président de la République, le 3 février dernier, devant les policiers d’Orléans. Commentant l’odieux assassinat de Laétitia Ferrais, Nicolas Sarkozy a d’abord exprimé son horreur: «Notre devoir, c’est de protéger la société de ces monstres.» Avant de faire part de son courroux; « Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés. » Certes, ce n’est pas la première fois que le président joue sur l’émotion populaire suscitée par un fait divers pour mettre en cause le corps judiciaire. La méthode est même à ce point éprouvée qu’elle est à l’origine de la multiplication des lois de plus en plus répressives qu’a fait adopter le gouvernement ces dernières années. Citons en vrac et de manière absolument pas exhaustive la mise en place du bracelet électronique, les peines planchers pour les récidivistes, le principe du maintien en détention de criminels dangereux après la fin de leur peine ou encore le recours désormais possible à la castration chimique. Un lourd arsenal dont on constate à chaque nouveau fait divers qu’il est encore insuffisant... D’où le fort agacement du président, qui soulève plusieurs questions. La première tient à la politique pénale. Est-elle la bonne? Au vu des résultats, on peut en douter C’est ce que soutient Mireille Delmas-Marty, professeure au collège de France, qui relève dans son dernier livre, Libertés et sûreté dans un monde dangereux, que, «le mouvement est sans fin et la répétition aveu d’impuissance, car nul ne pourra éradiquer à jamais la violence criminelle». Le faire croire relève donc d’un travestissement du réel qui en appelle d’autres; comme, par exemple, faire passer pour fautifs ceux qui sont chargés de sa mise en œuvre. Lesquels dénoncent l’absence criante de moyens qui est, elle, une cruelle réalité; la France compte deux fois moins de juges par habitant que la moyenne européenne et son budget de la justice n’arrive qu’à la trente-septième place sur le vieux continent.. La mise en cause est d’autant plus choquante qu’elle est, par les temps qui courent, à géométrie extrêmement variable. Aux uns les fautes, aux autres les excuses. Aux juges la présomption de culpabilité, aux ministres une absolue présomption d’innocence. La seconde question renvoie à la conception de la démocratie qui semble être celle du chef de l’Etat. Outre qu’elle contrevient aux dispositions des articles 64 et 65 de notre Constitution qui stipulent que le président de la République est le garant de l’indépendance de la justice et qu’en matière disciplinaire l’exécutif est explicitement exclu de toute intervention —, elle entend conjuguer un orgueilleux « l’Etat c’est moi » à une proximité compassionnelle qui servirait d’exorcisme social, Une conception qui se veut toute puissante en même temps que plus proche des affects que des idées. Une conception qui vide la démocratie de la politique comme le retour du registre du monstre déshumanise les criminels. Une démocratie de l’émotion aux antipodes de l’émotion démocratique qui aujourd’hui anime les peuples.



01/03/2011
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 27 autres membres