CGT du Crédit Agricole Des Savoie

Jeunes, Osez vous syndiquer...

Trois jeunes d’horizons et de statuts différents ont rencontré Bernard Thibault, le 5 avril. Leurs parcours ont orienté leurs questions. Tant sur les obstacles à l’engagement syndical que sur sa capacité à transformer un contrat social de plus en plus inégal

 

 Jonathan Baruthio  J’ai fait une formation en apprentissage à 16 ans dans une grande enseigne du BTP et décroché mon BEP. J’espérais obtenir un poste après les deux ans passés dans l’entreprise, mais j’ai été renvoyé car diplômé, je coûtais aussi cher qu’un autre salarié. Depuis, j’ai enchaîné les petits boulots, dans le secteur de

la sécurité, notamment.

J’ai dû traîner mon dernier employeur aux prud’hommes pour licenciement abusif.  Je me suis défendu, j’ai gagné, mais je me suis senti très seul. Aujourd’hui, je cherche du travail.

 

Léna Dormeau Je suis en master de sociologie du travail, je suis bretonne, arrivée à Paris l’an dernier pour poursuivre mes études. Je travaille depuis mes 18 ans pour financer mes études. Restauration rapide, surveillante en collège-lycée. J’ai du mal à boucler les fins de mois, se loger et vivre à Paris, c’est cher. Je ne suis pas syndiquée, la rencontre n’a pas eu lieu... Pourtant, je me suis mobilisée contre le CPE, la réforme des retraites, j’ai un peu suivi le mouvement des Indignés.

 

Azzedine Lahrach  J’ai commencé ma vie professionnelle avec des emplois précaires, l’intérim, puis j’ai été embauché chez Bongard [leader dans la fabrication des fours de boulangerie industrielle, Ali groupe]. Au bout de deux ans, je me suis aperçu que parmi les cinq syndicats dans l’entreprise, aucun ne jouait vraiment son rôle, signant parfois des accords défavorables aux salariés.La CGT que je voyais défendre les droits des travailleurs,

y compris des sans-papiers, dans les médias, ne correspondait pas à celle que j’avais sous les yeux.

J’ai osé rapporter cette situation à l’USTM du Bas-Rhin, qui m’a écouté et j’ai fini par remplacer l’ancien Délégué Syndical CGT.

J’avais rencontré la CGTpour la première fois, au cours des manifestations anti- Le Pen en 2002. Jeune, d’origine maghrébine, et vivant en banlieue, les discriminations, c’est mon quotidien. La politique venait d’échouer à satisfaire mon besoin de justice, je suis allé chercher ailleurs, sur le terrain syndical C’est dur parfois, mais je garde la tête haute.

 

Bernard Thibault  Pourquoi la création d’un syndicat ? Dans le rapport salarial, il y a ceux qui emploient et ceux qui travaillent ou cherchent à travailler. Ceux qui cherchent à être employés n’ont que leur travail pour vivre. C’est basique, mais vrai. Et de tout temps; Entre celui qui dicte la tâche à faire et rémunère pour cela et celui qui l’exécute et cherche à être reconnu pour ce qu’il fait, dans les conditions où il le fait, il y a un rapport tendu, tantôt sur le montant du salaire, tantôt sur les horaires de travail. Ce sont autant de revendications...

 Le système employeur-employé génère, de fait un rapport de subordination. Le fait syndical est né de la prise de conscience des salariés qu’individuellement ils ne pouvaient pas changer grand-chose. L’expérience a montré que pour améliorer la condition de chacun il fallait agir collectivement. Certains peuvent prétendre améliorer leur situation seuls, mais globalement c’est à partir d’une base collective qu’on peut faire pression sur un ou des employeurs pour améliorer le niveau des salaires, le système de protection sociale, les retraites, les conditions de travail Le syndicalisme est un outil, reconnu en droit puisque notre constitution prévoit la liberté à tout salarié d’adhérer, s’il le souhaite, au syndicat de son choix pour défendre ses intérêts. La pratique est plus compliquée: ce droit constitutionnel subit des pressions, des intimidations visant à dissuader les salariés de s’organiser en syndicat et d’essayer d’améliorer leur condition sociale.

 

LénaDormeau  Que dites-vous de l’articulation travail-études ?

 

 

Bernard Thibault Elle n’est pas souhaitable. Les jeunes acquièrent des savoirs de plus en plus développés, qui construisent la citoyenneté, qui permettent la maîtrise de leur avenir. 0r; il n’y a qu’une partie de la population qui accède aux études supérieures ou du moins, dans de bonnes conditions: celle qui a les ressources suffisantes pour se loger, se nourrir, payer les droits d’inscription. Les enfants des familles modestes sont, eux, obligés de travailler à côté et on sait les répercussions sur l’individu et sur les études.  D’où le besoin d’un dispositif qui reconnaisse la nécessité d’une prise en charge collective de l’accès aux études. Nous réclamons à ce titre un revenu d’autonomie pour les jeunes.

 

Léa Dormeau  En Espagne, le mouvement des Indignés a fait grand bruit; en France, il a été plus marginal mais a intéressé la jeunesse par sa revendication d’un nouveau modèle social et économique

 

Bernard Thibault La situation des Indignés a été fort différente en Espagne et en France. La mobilisation des Indignés espagnols a commencé à se constituer, pour l’essentiel, à la suite des mobilisations contre la réforme des retraites en France, qui ont eu une résonance internationale importante. Or, ce sont les syndicats qui étaient à l’appel de ces mobilisations qui ont rassemblé beaucoup plus largement que les seuls 8%  de syndiqués. En Espagne, le gouvernement Zapatero a négocié une réforme des retraites que les syndicats ont signée alors que le peuple espagnol la refusait l’opinion publique a donc considéré que partis politiques et syndicats étaient déconnectés des attentes de la population et ont rejoint le mouvement des Indignés, qui rejetait ces types de représentation. II y avait le sentiment que les syndicats n’étaient pas à l’écoute des attentes. Depuis, c’est un gouvernement de droite qui a succédé au gouvernement  socialiste et la dernière grève nationale du 29 mars s’est tenue à l’initiative des deux confédérations syndicales. Des jeunes s’y sont joints et disaient retrouver des syndicats plus combatifs...
En France, les valeurs défendues par les Indignés sont assez proches de celles d mouvement syndical. Mais l’écho a été d’autant plus réduit que des initiatives syndicales ont eu lieu régulièrement en reflet du rejet populaire que suscita la politique du gouvernement. Le syndicalisme français a été plus ou moins présent, plus ou moins unitaire, mais rappelons-nous que c’est en France, en 2009  qu’avaient lieu les premières et les plus importantes manifestations en Europe pour dire le refus des salariés de payer la facture de la crise dont ils n’étaient pas responsables. Même avec nos forces toujours trop faibles, l’audience syndicale et nos dernières démonstrations montrent qu’on peut entraîner plus de monde à suivre nos appels et à nous rejoindre à l’intérieur du syndicat poux réfléchir aux contenus, aux méthodes...

 

Azzedine Lahrach  Pour le transformer ?

 

Bernard Thibault  Pour le transformer aussi, oui.  Des jeunes étaient parmi ceux qui l’ont créé en 1895, qui l’ont animé durant l’occupation où il était interdit. Qui a fait vivrela CGT pendant la période de clandestinité? Principalement des jeunes, certains âgés d’une quinzaine d’années. L’un d’entre eux deviendra un grand dirigeant dela CGT, Georges Séguy. Il y a ensuite eula Libération, le Conseil national dela Résistance, le projet de sécurité sociale, etc. Les syndiqués CGT ont structuré une force de changement social au cours du siècle qui a toujours été le produit des différentes générations qui s’y sont investies à leur époque. Nous devons absolument être attentifs à reconnaître aux jeunes leur place dans le syndicat — même si leur précarité professionnelle les rend plus difficiles à syndiquer— et réfléchir avec eux à des formes d’organisation qui tiennent compte de l’instabilité des salariés dans l’emploi. Nous cherchons encore ces clefs- là. Et je suis convaincu que c’est avec la jeunesse qu’on les trouvera.

 

Léa Dormeau  Du coup, comment se situela CGT ? Elle prône une réforme du modèle social ou carrément une révolution?

 

Bernard Thibault Avec notre approche, nous militons pour bousculer l’ordre établi tel qu’il fonctionne aujourd’hui dans l’entreprise, dans la société, qui génère trop d’inégalités, des formes d’exploitation honteuses, des gâchis humains, environnementaux. Si par révolution, on comprend l’impulsion de changements, de bouleversements profonds de la société, alors oui, nous sommes révolutionnaires. Mais, j’insiste sur notre différence avec le rôle d’un parti politique en tant que syndicat de salariés, nous avons vocation à défendre les intérêts matériels et moraux de nos membres venus d’horizons très différents. C’est un principe fondamental. Le syndicat doit être capable de réunir les salariés quelles que soient leurs origines, leur confession, leur couleur de peau ou leur sensibilité politique. Et, à ce titre, prétendre influencer certaines évolutions dans la société au sens large.

 

Azzedine Lahrach Les jeunes ont parfois du mal à se faire entendre àla CGT. J’ai dû pour ma part, batailler contre un ancien qui ne défendait pas ou plus les idées incarnées parla CGT, mais s’accrochait à son fauteuil.

 

Bernard Thibault  D’abord, il y a des endroits où, effectivement, il faut savoir jouer des coudes. La démocratie, et donc la représentation de toutes les générations, est indispensable au dynamisme d’un syndicat Celui-ci ne peut pas être l’objet la propriété, d’une petite partie de ses membres.
Ensuite, pour qu’un syndicat soit en adéquation avec les attentes des salariés, il faut dans ses rangs des personnes représentatives de la diversité de ses membres. Personne ne dira mieux que les jeunes ce qui correspond à leurs attentes, Il ne s’agit pas d’opposer les générations entre elles, mais bien d’avoir des directions de syndicats à l’image de la population salariée.

 

Jonathan Baruthio Quel est votre message aux jeunes salariés?

 

Bernard Thibault  Osez vous syndiquer, venez voir de l’intérieur, Nous avons encore trop souvent une image qui ne correspond pas à la réalité. Par exemple, l’idée très répandue qu’adhérer à un syndicat, c’est perdre de sa personnalité, perdre de son autonomie de pensée. Je récuse cette idée, un syndicat est fait de personnalités diverses et il sera d’autant plus performant qu’il sera capable de réunir de plus en plus de diversité dans ses rangs, dès lors que nous sommes d’accord d’être réunis non pas pour s’accorder sur tout mais pour défendre notre situation de salarié et améliorer notre condition sociale. Beaucoup d’autres professions le sont, comme les agriculteurs les médecins, les patrons.

Azzedine Lahrach En fait il s’agit d’investir un lieu de bataille..

 

Bernard Thibault Il s’agit d’investir un lieu de réflexion et de bataille. Nous ne sommes pas que des porteurs de pancartes, contrairement à l’expression d’un ministre, Heureusement nous réfléchissons, nous débattons, nous portons des projets, des propositions, Et puis, il y a des actions plus concrètes pour améliorer le quotidien d’un individu dans une entreprise ou pour faire avancer ensemble notre protection sociale, les salaires... On ne va pas voir l’employeur chacun son tour pour avoir une augmentation de salaire. On y va ensemble pour que tout le monde en bénéficie. Et pour cela, nul besoin que tout le monde soit d’accord sur tous les sujets ou tous les débats de société. En adhérant à un syndicat on peut continuer à écouter la musique qu’on veut à avoir la pratique religieuse qui est la sienne, à penser politiquement comme on veut. Un syndicat ce n’est pas une secte.

 

Jonathan Baruthio Oui, mais c’est stigmatisant face à un employeur et quand on est déjà précaire..

 

Bernard Thibault il faudrait pouvoir mieux faire mesurer aux jeunes combien la situation des salariés est différente selon qu’un syndicat est présent ou non dans l’entreprise. En général, quand il y a une présence syndicale et singulièrement quand il s’agit dela CGT, l’employeur a plus de difficultés à violer les droits des salariés. Nombre de salariés viennent à nous ponctuellement lorsqu’ils rencontrent un souci avec l’employeur et qu’il n’y a pas de syndicat dans l’entreprise. Ils savent donc que les délégués syndicaux sont utiles. A nous de les convaincre de nous rejoindre sur le long terme. C’est aux salariés de s’organiser eux-mêmes là où ils travaillent et à nous de trouver des formes d’organisation adaptées à la précarité du travail d’aujourd’hui.

 

Jonathan Baruthio La CGT considère-t-elle que c’est décisif de syndiquer des jeunes ?

 

Bernard Thibault La CGT compte 682 000 adhérents, elle est parmi les organisations les plus importantes du pays. Des responsables politiques nous disent souvent combien nous sommes petits et peu représentatifs puisque nous ne syndiquons que 8 % de la population. A y regarder de plus près,la CGT compte davantage de membres que tous les partis réunis. Oui, c’est décisif de syndiquer les jeunes, Ce sont eux qui feront la société de demain.

 

Léna Dormeau À la suite de la présidentielle, si deux millions de jeunes venaient subitement rejoindrela CGT que se passerait-il ?

 

Bernard Thibault Il faudrait qu’on agrandisse nos locaux ! Mais il y a de la place. Ils la transformeraient, bien sûr. La CGT se transforme inévitablement au fur et à mesure qu’elle réunit de nouveaux adhérents, d’où qu’ils viennent  Nous syndiquons, par exemple, de plus en plus de femmes, population salariée précarisée du fait de sa condition, avec plus de CDD, de temps partiels... Eh bien, même s’il reste encore à faire, cette évolution se reflète dans l’augmentation du nombre de femmes en responsabilité au sein de la structure. Deux données qui rendent la CGT plus proche des revendications propres à la population salariée féminine la discrimination salariale, nous nous en occupons d’autant plus que les intéressées sont parmi nous. C’est la même chose pour les jeunes, leurs revendications seront d’autant plus portées par la CGT, qu’ils investiront le syndicat pour les défendre de l’intérieur. La présence des jeunes aidera la CGT à être plus au diapason de leurs revendications, à eux. Nous sommes un syndicat d’adhérents qui ont leur mot à dire sur ce que fait le syndicat, qui apportent leur point de vue, leurs idées, qui s’expriment. C’est l’opposé de la formule «vous cotisez pour consommer un service».

Jonathan Baruthio On voit beaucoup de drapeaux CGT dans les meetings de Jean-Luc Mélenchon, le candidat du Front de gauche. Qu’en pensez-vous ?

 

Bernard Thibault Cela montre que des gens sont fiers de porter le drapeau CGT. C’est beaucoup. Et probablement lié à la proposition globale d’une répartition des richesses plus juste et à celle, plus précise, d’un Smic à1700 euros, directement puisée dans le cahier revendicatif de la CCT. Mais ça n’est pas une prise de position du  syndicat  Nous avons dit le bilan négatif du président de la République actuel bien qu’une partie des responsables politiques et du patronat nous contestent le droit de le faire. Dès lors que nous considérons qu’il est responsable de réformes préjudiciables pour les salariés et que la question se pose de savoir s’il doit ou non continuer, nous donnons notre avis: nous ne souhaitons pas qu’il continue. A partir de là, nous ne donnons aucune consigne partisane, ce serait sortir de notre rôle de syndicat Nous ne sommes pas au service d’un parti ou d’un candidat  Selon plusieurs études d’opinion, de 85 à 90% des syndiqués CCT se revendiquent de «gauche», mais l’échiquier est large. Il y a, au sein du syndicat, des militants qui vont voter pour différents candidats et nous sommes très respectueux de cette diversité. C’est une richesse et une condition pour pouvoir rassembler les salariés. En revanche, nous excluons le vote FN qui défend des conceptions contraires à nos principes fondamentaux de solidarité, de reconnaissance de travailleurs quelles que soient leur couleur de peau, leurs origines, leur confession. Tous les travailleurs ont les mêmes intérêts à défendre.  

 

 

 

 

 



03/07/2012
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