CGT du Crédit Agricole Des Savoie

article du journal Le Monde : Mouvement Social automne 2010

 Le mouvement social de l'automne 2010 aura une postérité politique

Si la gauche veut gagner en 2012, elle devra s'appuyer sur sa dynamique

    

Ni vainqueurs ni vaincus ", nous dit-on à propos de la mobilisation sociale, comme si

tout était fini. C'est se rassurer à bon compte : un mouvement social a toujours une

postérité. C'est elle qu'il convient d'interroger pour comprendre l'importance de ce qui

se passe. Laissons de côté les gouvernants. Nicolas Sarkozy est un homme du passé, et dans

quelques années l'évocation de son nom fera sourire, comme ce fut le cas pour Valéry

Giscard d'Estaing. N'en déplorons pas moins que, sans cesse désavoué dans les urnes depuis

2007 et faisant passer des lois contre la volonté de la population, le pouvoir identifié au

patronat propose une piètre image de la démocratie au moment où une nouvelle génération

entre en politique.

C'est bien du côté d'un mouvement social protéiforme qu'il faut chercher les acteurs

essentiels. Depuis 2002, les conflits se sont succédé, impliquant nombre de groupes sociaux.

Certains étaient novices, les enseignants du primaire et du secondaire, les intermittents du

spectacle, puis les universitaires. D'autres avaient une expérience de la lutte sociale, comme

les employés des transports publics auxquels le gouvernement avait promis, en 2003, que

leurs régimes de retraite ne pouvaient pas être remis en cause avant, quatre ans plus tard, de

s'y attaquer. En 2006, le mouvement contre le contrat première embauche (CPE) a concerné

la jeunesse scolarisée, puis l'ensemble de la population active, et a fini par l'emporter.

L'année suivante, c'est à l'usine automobile d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) que les

ouvriers ont longuement débrayé. Du commerce au bâtiment, la liste serait interminable des

secteurs touchés à un moment ou à un autre par des grèves. La part des travailleurs de la

chimie dans le présent mouvement permet de comprendre que c'est l'ensemble des branches

qui est concerné.

Une profonde réflexion accompagne ces mouvements sociaux. Depuis la grève du printemps

2003, une controverse informelle agite tout le pays sur l'avenir des retraites, en décortique

les données économiques, démographiques et sociales. Le rejet du CPE par les Français en

2006 ne fut pas initial et s'est étayé par une analyse préalable. Cette nouvelle intelligence du

monde s'inscrit en son temps et est le fruit de la considérable élévation du niveau

d'instruction de l'ensemble de la population. Les débats sont d'autant plus féconds qu'ils

remettent à leur juste place les propos d'" experts " à l'approche avant tout idéologique.

Innovation des grèves de 1968 et des années suivantes, la place déterminante des assemblées

générales est aussi le produit de questionnements sur la démocratie.

Autre caractéristique des mouvements sociaux de la dernière décennie, le choix des

modalités d'action peut aboutir au dépassement d'éventuels antagonismes entre des intérêts

catégoriels et ceux de l'ensemble de la société. Sans que le public en soit toujours conscient,

la question du service de la population est au centre de nombre de mobilisations. Pendant

leur grève, les agents d'EDF ont fait en sorte que le tarif le plus bas s'applique toute la

journée dans des quartiers populaires. Même en dehors d'un conflit social, certains d'entre

eux rétablissent illégalement le courant à des ménages démunis.

Dans les transports en commun urbains et à la SNCF, la question de fournir des transports

  

gratuits a été évoquée dans des assemblées générales, sans que les grévistes aient osé s'y

risquer. Mais elle n'est pas écartée, et un prochain mouvement pourrait faire réitérer des

expériences comme celles de mai 1968, lorsqu'à plusieurs reprises les cheminots grévistes

ont organisé eux-mêmes le trafic des trains.

Pour comprendre le présent, l'évocation de l'histoire n'est pertinente que si l'on met en

perspective différents éléments. Plus que 1968 ou 1995, c'est 1936 et 1981 qu'il faudrait

observer. Les acquis de 1936 sont le résultat d'une grande grève que personne n'attendait et

qui a usé de méthodes originales. Ces mesures sociales, devenues la grande fierté d'une

gauche politique à laquelle elles ont été imposées, n'auraient jamais été prises sans ce

mouvement. En modifiant le contexte d'une victoire de la gauche, le mouvement de 2010

suffira peut-être pour que 2012 ne soit pas une déconvenue de plus. L'élection de Mitterrand

en 1981 survenait après des années d'attente de l'arrivée au pouvoir d'une gauche unie

autour d'un programme.

Sa division puis son échec en 1978 semblaient avoir sonné le glas des espoirs de l'après-68.

Les années suivantes n'étaient plus, en pleine crise économique, que celles de la morosité

d'un giscardisme déjà fané. Et c'est après ce temps où les mouvements sociaux semblaient

épuisés qu'une gauche rabibochée parvenait au pouvoir pour produire, avec le recul social de

1983, un désenchantement qui la marque encore.

Rien de tout cela aujourd'hui : dans la continuité d'une décennie de luttes, le mouvement

social pourrait être ces prochaines années un acteur de poids. Dans ses choix, dans sa

capacité à mettre en oeuvre une politique, la gauche au pouvoir sera d'autant plus légitime

qu'elle y trouvera inspiration et appui. En cela, les grévistes ont déjà gagné, qui affirment le

dépassement des valeurs du bling-bling individualiste et la légitimité des solidarités entre

secteurs professionnels comme entre générations. Le mouvement de l'automne 2010 restera

longtemps d'actualité parce que la question qu'en définitive il pose est la plus importante de

notre société : celle du travail.

Les méthodes, qui dans le privé ont fait la preuve de leur inanité, sont importées dans le

secteur public, dont s'effacent la finalité de la mission et l'intérêt pour la population. C'est

contre tout cela que les Français se mobilisent. Les mouvements sociaux correspondent à une

intrusion de la société dans la gestion de l'Etat, à une véritable construction de la politique et

de la démocratie. Une gauche portée au pouvoir ne pourra pas l'ignorer.

Christian Chevandier

Professeur d'histoire contemporaine à l'université

du Havre

 



09/11/2010
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