CGT du Crédit Agricole Des Savoie

Lexique pour période sociale agitée

La langue automatique du journalisme officiel est la langue de bois officielle

 


I . CONSENSUS SOUS SURVEILLANCE

 

REFORME. Quant une réforme proposée est imposée, cela s’appelle « LA réforme ». Et s’opposer à cette réforme devient : « le refus de la réforme »

REFORMISTE. Désigne ou qualifie les personnes ou les syndicats qui soutiennent ouvertement les réformes gouvernementales ou se bornent à proposer de les aménager.

MODERNISATION. Synonyme de « réforme » ou de l’effet attendu de « LA réforme ». « LA modernisation »  est, par principe, aussi excellente que « LA réforme »… puisque, comme l’avait fort bien compris M. de la Palisse, fondateur du journalisme moderne, la modernisation permet d’être moderne. Et pour être moderne, il suffit de moderniser. Le modernisme s’oppose à l’archaïsme. Seuls des esprits archaïques peuvent s’opposer à la modernisation. Et seuls des esprits tout à la fois archaïques, réactionnaires et séditieux peuvent avoir l’audace et le mauvais goût de proposer de subordonner « LA modernisation » au progrès social. D’ailleurs, « LA modernisation » est indifférente à la justice sociale, que la modernité a remplacé par l’ « équité ». Voir ce mot.

OUVERTURE. Se dit des opérations de communication du gouvernement. L’ « ouverture » se traduit par des « signes ». Les « signes d’ouverture » traduisent une « volonté d’apaisement ». Ne pas confondre avec cette autre ouverture : « l’ouverture de négociations » qui pourrait manifester un dommageable retour.

APAISEMENT. Se dit de la volonté que l’on prête au gouvernement. Par opposition au « durcissement » de la mobilisation. Voir « ouverture ».

CONCERTATION. Se dit des réunions convoquées par un ministre pour exposer aux organisations syndicales ce qu’il va faire et pour écouter leurs doléances, de préférence sans en tenir compte. Selon les besoins, la « concertation » sera présentée comme un équivalent de la « négociation » ou comme son substitut. Le gouvernement est toujours ouvert à la « concertation ». Voir « ouverture ».

NEGOCIATION. Selon les besoins, tantôt synonyme, tantôt antonyme de « concertation ». On est prié de ne pas indiquer que, à la différence de la « concertation », la « négociation » est généralement terminée avant d’être commencée.

DIALOGUE SOCIAL. Se dit des rencontres où un ministre parle aux syndicats, par opposition au « conflit social », comme si le « dialogue » n’était pas généralement de pure forme : destiné à dissimuler ou à désamorcer le « conflit ».

PEDAGOGIE. Devoir qui, pour les journalistes communicants, s’impose au gouvernement (plus encore qu’aux enseignants…). Ainsi, le gouvernement fait preuve (ou doit faire preuve…) de « pédagogie ». Tant il est vrai qu’il s’adresse à nos grands éditorialistes, à un peuple d’enfants qu’il faut instruire patiemment. Et si la « réforme » passe, c’est que la pédagogie (et non la force) a triomphé.

 

II. DERAISON DES FOULES.

 

CRISPATION. Un mot parmi d’autres pour désigner l’attitude des salariés qui se battent contre les délocalisations, le chômage, le dumping social, la destruction du Droit du Travail, du système de  santé et des retraites par répartition. La France « crispée » est rigide et s’oppose à la France moderne et flexible.

EGOÏSME. Frappe les chômeurs, les travailleurs précaires, les classes populaires en général. Exemple : le refus du dumping social est un symptôme évident d’égoïsme. Vice dont sont dépourvus les possesseurs de stock-options.

INDIVIDUALISME. Peut être vice ou vertu. Vice quand il entame la solidarité des dominés avec les dominants, vertu quand il détruit les défenses immunitaires des mouvements sociaux. En parler beaucoup, pour ne rien dire des conditions collectives de l’émancipation des individus.

CORPORATISME. Mal qui menace n’importe quelle catégorie de salariés qui défend ses droits, à l’exclusion des tenanciers des médias.

MALAISE. Se dit du « trouble », plus ou moins profond, qui peut aller jusqu’au « mal-être », vécu ou ressenti par une profession. Au printemps 2003, le « malaise » affecte particulièrement les enseignants. Le « malaise » peut se traduire par des « revendications » qui ne sont alors que des « symptômes ». Le « malaise » et ses « symptômes », diagnostiqués par les éditorialistes et les experts, réclament un traitement approprié.

GROGNE. Un des symptômes les plus graves du « malaise », un signe de l’animalité privée de mors des « grognons ».

 

III. PAROLES, PAROLES. 

 

GROGNEMENTS. Ne se dit pas, mais tient lieu de parole des « grognons ».

TEMOINS. Exemplaire de la foule des grévistes et manifestants, interrogés en quelques secondes à la télé ou en quelques lignes dans les journaux. Le « témoin » témoigne de ses affects, jamais de ses motifs ou du sens de son action. Seuls les gouvernants, les « experts » et l’élite du journalisme argumentent, connaissent les motifs et maîtrisent le sens. L’élite pense, le « témoin » grogne. Voir ce mot.

EXPERT.  Invité par les médias pour expliquer aux grévistes et manifestants que le gouvernement a pris les seules mesures possibles, dans l’intérêt général. Déplore que les « grognements » des « jusqu’auboutistes » et des « ultras » (voir ce mot), ces privilégiés égoïstes et irresponsables (voir « corporatisme ») ; empêchent d’entendre le « discours de raison » des artisans du « dialogue social ».

EDITORIALISTE. Journaliste en charge des éditoriaux. Pour ne pas se laisser enfermer dans cette lapalissade sortie du dictionnaire, l’éditorialiste est condamné à changer de titre pour se répandre simultanément dans plusieurs médias. Dans certains d’entre eux, il devient « chroniqueur ». Dans d’autres, il est « interviewer ». Dans tous, il est « invité ». Exemple : Alain Duhamel. Exemple du « chroniqueur » : Pierre-Luc Séguillon.

INTERVIEWER. Journaliste en charge des entretiens. Les meilleurs d’entre eux sont des éditorialistes modestes puisqu’ils ne livrent leurs précieuses opinions que dans la formulation des questions qu’ils posent. L’interviewer est un éditorialiste condamné aux points d’interrogation. Ou presque : Christine Ockrent est une intervieweuse. Jean-Pierre Elkabbach aussi.

DEBAT. Se dit notamment des séances de papotage qui réunissent autour d’une table l’élite des « experts » et des « éditorialistes ».

TRIBUNES LIBRES. Souvent invoquées pour répondre à ceux qui s’inquiètent de l’état du pluralisme dans les médias. Ces espaces sont réservés à l’expression des « experts » dominants, peuvent être occasionnellement décorés par la présence de contestataires, pour peu qu’ils se rendent respectables en s‘abstenant de toute critique des médias.

COURRIER DES LECTEURS. Dans la presse écrite, se dit de la sous-rubrique où sont relégués les propos, soigneusement triés, des non-experts.

MICRO-TROTTOIR. Equivalent audiovisuel du courrier des lecteurs, cette forme avancée de la démocratie directe, concurrencée par les SMS, permet de connaître et de faire connaître l’opinion des « gens ». Technique recommandée pour faire dire en quinze secondes à chaque exemplaire d’un échantillon soigneusement sélectionné ce que l’on attend qu’il dise. Ne pas confondre avec « entretien » : trop long.

OPINION PUBLIQUE. S’exprime dans les sondages et/ou par l’intermédiaire des « grands journalistes » qui lui donnent la parole en parlant à sa place. Quelques exemplaires de l’opinion publique sont appelés à « témoigner » dans les journaux télévisés. Les grévistes et les manifestants ne font pas partie de l’ « opinion publique » , qui risque de (ou devrait…) se retourner contre eux.

CONTRIBUABLES. Nom que porte l’opinion publique quand elle paie des impôts qui servent au service public. Quant l’argent public est dépensé pour consentir des avantages fiscaux aux entreprises, cet argent n’est plus d’origine identifiée. On dira : « les régimes de retraite du secteur public sont payés par le contribuable ». On ne dira pas : « les exonérations de charges consenties aux entreprises sont payées par le contribuable »

 


IV. MOUVEMENTS DES TROUPES.

 

TROUPES. Mode d’existence collective des grévistes et des manifestants, quand ils répondent (ou se dérobent) aux appels et aux consignes des syndicats. Parler de « troupes de manifestants », de « troupes syndicales », de syndicats qui mobilisent leurs « troupes » (ou qui « ne contrôlent pas leurs troupes ».

TROUBLES SOCIAUX. Se dit des effets de la mobilisation des « troupes ». Un journaliste rigoureux se garde généralement de les désigner comme des « soubresauts » (ainsi que le fit au cours du journal télévisé de 20h sur TF1 le mercredi 28 mai 2003 le bon M. Raffarin).

CONCERNES. Se dit des secteurs ou des personnes qui sont immédiatement visés par « LA réforme ». Sinon, dire : « le cheminots ne sont pas concernés par la réforme des retraites » ou « les enseignants ne sont pas concernés par la décentralisation ». Vous pouvez pousser le souci de la rigueur jusqu’à affirmer que « les cheminots ne sont pas directement concernés ». Dans les deux cas, vous pouvez ajouter qu’ils « se sentent menacés ». D’où l’on peut déduire ceci : se sentir menacé, ce n’est pas être menacé, et en tout cas être menacé ou se sentir menacé, ce n’est pas être concerné. « La CGT de la SNCF qui n’est pourtant pas du tout concernée par le CPE a déposé un préavis de grève nationale pour le mardi 28 » décrète Jean-Pierre Pernaut, qui déplore ainsi, le 26 mars 2006, que les cheminots ne soient pas assez corporatistes.

USAGERS. Se dit de l’adversaire potentiel des grévistes. Peut également se nommer « élèves qui préparent le bac » et « parents d’élèves inquiets ». « La grève […] s’annonce massive et dure. Dure surtout pour les usagers »  précise David Pujadas, compatissant et soucieux de l’avenir des cheminots, le 13 novembre 2007.

OTAGES. Synonyme d’ « usagers ». Terme particulièrement approprié pour attribuer les désagréments qu’ils subissent, non à l’intransigeance du gouvernement, mais à l’obstination des grévistes. « Victimes » des grèves, les « otages » sont d’excellents « clients » pour les micro-trottoirs : tout reportage doit les présenter comme excédés ou résignés et, occasionnellement, solidaires.

PAGAILLE. Se dit des encombrements un jour de grève des transports. Par opposition, sans doute, à l’harmonie qui règne en l’absence de grèves.

GALERE. Se disait (et peut se dire encore) des conditions d’existence des salariés privés d’emploi et des jeunes privés d’avenir, vivotant avec des revenus misérables, de boulots précaires en stage de réinsertion, assignés à résidence dans des quartiers désertés par les services publics, et subissant des temps de transports en commun démesurés. Phénomène presque invisible à la télévision, ses responsables ne sont pas identifiables. « Galère » se dit désormais des difficultés de transports les jours de grève : on peut aisément les mettre en image et les imputer à un coupable désigné : le gréviste.

NOIR. Qualifie un jour de grève. En 2005, c’était un mardi. En 2009, un jeudi (un « jeudi noir » finalement « plutôt gris clair », d’ailleurs, selon le contemplatif Jean-Pierre Pernaut). Peut également se dire des autres jours de la semaine. « Rouge » ou « orange » sont des couleurs intermédiaires réservées aux embouteillages des week-ends, des départs ou des retours de vacances. Le jour de grève, lui, est toujours « noir », couleur du « chaos ».

CHAOS. Se dit sobrement des conséquences des journées « noires ». Pour désigner les conséquences d’un tsunami ou d’un tremblement de terre… chercher un autre mot !

SURENCHERE. Se dit, particulièrement, au Figaro, de tout refus des mesures imposées par le gouvernement, dont l’attitude, au contraire se caractérise par le « fermeté ».

DURCISSEMENT. Se dit de la résistance des grévistes et des manifestants quand elle répond à la « fermeté » du gouvernement, une « fermeté » qui n’est pas exempte, parfois, d ‘ « ouverture ». Voir ce mot.

ESSOUFLEMENT. Se dit de la mobilisation quand on souhaite qu‘elle ressemble à ce que l’on dit.

ULTRAS. Désigne, notamment au Figaro,  les grévistes et les manifestants qui ne se conforment pas au diagnostic d’ « essoufflement ». Vaguement synonyme d’ « extrême-gauche », lui-même synonyme de … au choix ! Autre synonyme : « jusqu’auboutistes ».

VIOLENCE. Impropre à qualifier l’exploitation quotidienne, les techniques modernes de « management » ou les licenciements, le terme s’applique plus volontiers aux gens qui les dénoncent, et aux mots qu’ils emploient pour le faire. A condition de respecter cette règle d’usage, la « violence » est presque toujours « condamnable ». Et condamnée.

 

LES NOUVEAUTES 2010.

 

RESIGNATION. Se dit (depuis mai 2010) de ce que devrait être « l’état de l’opinion » hostile à « LA réforme ». Ainsi, le lendemain de la première grande mobilisation sur les retraites : « les manifestations d’hier […] n’ont pas été un succès. Mobilisation moyenne, enthousiasme relatif, résignation perceptible ». (Jean-Michel Aphatie sur son blog, 28 mai 2010).

RADICALISATION. Se dit (depuis octobre 2010) de la menace qui pèse sur la résignation quand celle-ci n’est manifestement pas conforme aux prescriptions médiatiques. Exemple : « Radicalisation ! Le mot est dans l’air du temps et il fait peur » frémit Gérard Carreyrou ( France Soir, 7 octobre 2010). C’est sans doute pourquoi le terme ne s’applique qu’aux salariés et non au gouvernement … et aux médias.

 

Faut-il que la « radicalisation » se résigne ou que la « résignation » se radicalise ?

Article réalisé grâce au soutien de l’Association ACRIMED .



26/11/2010
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