CGT du Crédit Agricole Des Savoie

Et si le vrai malade à soigner, c'était le travail ?

Pour Yves Clot, psychologue du travail, ce ne sont pas les salariés mais le travail qu’il faut soigner. Et cette thérapie passe forcément par le conflit entre salariés et dirigeants: il faut que les salariés puissent imposer collectivement leur propre conception du travail, fondée sur la qualité et non la rentabilité.

La souffrance au travail est devenue un sujet de  prédilection  des chercheurs, des experts et consultants, des médias de toutes sortes. Les chaines de télévision l’abordent aux heures de grande écoute. Les suicides de salariés dans des entreprises emblématiques, comme Renault et France Télécom-Orange, ont suscité une émotion et une colère largement  partagées.

 L’émergence de cette thématique au milieu des années 1990, alors que depuis près de 20 ans dominait celle du chômage et de ses ravages, a remis les choses en place : ceux qui ont un emploi ne sont pas des privilégiés, comme certains voulaient le faire croire. Elle a largement contribué à faire prendre conscience de la dégradation des conditions de travail et des maux qu’elle entrainait  pour les salariés.

En enfermant les salariés dans un statut de victimes, de malades à soigner qui les condamne à l’impuissance, cette thématique de la souffrance au travail n’est-elle pas pourtant en train de devenir une impasse ?

C‘est la thèse que défend Yves Clot, titulaire de la chaire de psychologie du travail du CN A M dans son dernier ouvrage, « le travail a cœur. Pour en finir avec les risques psycho sociaux (la découverte, 2010).

Car « une reconnaissance peut en chasser une autre » : « la prise en charge  “Psychologique” des travailleurs par autrui se substitue alors à la prise en charge par ces mêmes travailleurs de leur métier et, plus largement, de la discussion sur la qualité du travail ». écrit ainsi l’auteur

Ne risque-t-on pas d’aboutir à une sorte de « despotisme compassionnel » ?  C’est-à-dire un dépistage systématisé, d’une souffrance individualisée qui finirait par déboucher sur une obligation de traitement et de soins psychologiques de travailleurs considérés comme « fragiles » ?
Or ce ne sont pas les travailleurs qui sont malades, mais le travail lui-même. Ce qui affecte les salariés, ce qui les rend en colère, explique Yves Clot, c’est de ne pas pouvoir faire leur travail, de ne pas pouvoir le faire correctement, pour en être fier, pour se sentir socialement utiles.

 Quand la qualité du produit fabriqué fout le camp. au nom de la rentabilité financière  immédiate, c’est  la santé des ouvriers qui en prend un coup. Yves Clot cite le témoignage d’une infirmière du travail qui a vécu le long périple de la fermeture de l’usine LU d’Evry (groupe Danone), de 2001 à 2004.

Les premières inquiétudes sont nées de la perte des bonnes odeurs qui embaumaient l‘usine quand la direction à commencé à trafiquer les recettes traditionnelles des biscuits, à mettre moins de chocolat, à remplacer le vrai beurre par de l’oléine de beurre, le lait par du lactose.

Si c’est le travail qui est malade, c’est donc lui qu’il faut soigner. La responsabilité de l’organisation du travail dans le mal-être  des salariés est certes de plus en plus largement reconnue, mais pour gérer le mal plutôt que s’y attaquer réellement.

 L’accord national interprofessionnel sur le stress, signé par le patronat et les syndicats en 2008, comme les accords signés dans les entreprises reposent sur une base discutable, Il y aurait stress lorsque les travailleurs n’ont plus les moyens ou les ressources pour faire face aux exigences de l’organisation. Or, pour Yves Clot, il faut retourner la proposition: il y a stress lorsque les organisations ne donnent plus aux salariés les moyens de faire  un travail de qualité.

Et  la seule façon de faire bouger les choses, c’est de raviver les conflits, aujourd’hui totalement niés sur la conception de ce qu’est la performance. Pour les directions des entreprises, tout est affaire de rentabilité financière, Il faut que les salariés et leurs syndicats puissent leur opposer une toute autre définition  reposant sur la qualité, pour l’entreprise et plus largement pour la société et l’ensemble de la planète.

 

 



27/05/2011
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