CGT du Crédit Agricole Des Savoie

QUAND L'ORGANISATION DU TRAVAIL TUE

Quand l'organisation du travail tue

 

Renault Guyancourt, EDF Chinon, Citroën Charleville-Mézières, Sodexho
Lyon, Sanofi-Aventis Tours ••• Au cours des derniers mois, la liste des
entreprises où des salariés ont mis fin à leurs Jours n'a cessé de s'allonger.
Pour le docteur Philippe Davezies, l'explication du phénomène réside avant  tout dans la dégradation du travail lui-même.

Philippe Davezies est enseignant chercheur en médecine et santé au travail à l'université Lyon 1 .

 

 

NVO - Comment expliquez-vous la vague de suicides liés au travail que nous connaissons aujourd'hui?

Les suicides sont. une des formes d'expression de la souffrance au travail, mais à l' arrière-fond, il y a les évolutions du travail et en particulier son intensification. Celle-ci se caractérise par des phénomènes bien connus; la montée de la concurrence entre les salariés au travers des processus ci' évaluation, d'individualisation, la division des statuts, etc. Un aspect cependant est beaucoup moins repéré: le fait que cette intensification n'a pas seulement augmenté la pression sur les salariés, mais entraîné une dégradation du travail lui-même, en le précarisant, y compris, là où l'emploi est stable. Pour un professionnel, le travail suppose de prendre en compte une multitude d'éléments particuliers qui n'apparaît pas clairement de l'extérieur et permet de s'adapter au mieux aux situations particulières. En un mot,
le travail demande du soin. Or, le management produit aujourd'hui une logique de la standardisation et de l'accélération qui ne s'embarrasse pas de ces «détails». Il y a donc un énorme contentieux sur la
manière dont on évalue le travail. La qualité pour le métier, c'est le «bien travailler ~>, mais pour le
management, c'est la qualité pour le marché dans le temps du marché avec comme leitmotiv l'excellence et le «juste nécessaire ». Cette situation est générale et touche toutes les catégories de salariés.

Dès lors, partout, travailler est devenu trier dans l'ensemble de ce qu'il faudrait faire et cette question du tri n'est pas arbitrée socialement. Chacun décide seul de ce qu'il va privilégier, reporter au lendemain

ou délaisser.

En quoi ceci est-il lié aux suicides?
Les suicides sont liés exactement à cela. Je m'explique: un certain nombre de salariés s'efforcent autant qu'il est possible de maintenir un travail de bonne qualité. Et ce sont ceux-là qui sont en difficulté. Tenir uniquement les critères de la direction, ce n'est pas très compliqué, mais ça le devient si on s'astreint en plus aux exigences de qualité du métier. Dans cette situation, le salarié est sous une pression particulière où il doit être en parfaite possession de ses moyens pour tenir. Dès lors, il suffit d'un élément de fragilisation, une procédure supp]émentaire dans le travail ou un événement qui les
affecte dans la sphère personnelle pour ne plus pouvoir tenir. C'est à ce moment qu'intervient la décompensation.
Et là, tous les éléments personnels de fragilisation pourront être mis en avant pour expliquer la décompensation
qui se traduit parfois par un suicide. Systématiquement, les gens qui basculent sont tous sur un rapport d'investissement fort dans le travail qu'ils tentent de défendre dans une situation où la pression à l'intensification et la standardisation amèneraient à écraser une partie des critères de qualité du travail.

Vous estimez donc qu'ils sont trop investis dans leur travail?

Non, au contraire, ce qui pose problème c'est le désengagement des salariés pour se plier aux critères du management, ce qui, par ailleurs, est une stratégie individuelle pour se mettre à l'abri. La conséquence, c'est qu'il y a un extraordinaire appauvrissement du côté du rapport au travail. Et si l'ensemble des salariés ne se bat pas pour maintenir cette qualité, ces valeurs, c'est l'ensemble des tissus sociaux qui est en danger. Ces valeurs sont par exemple le fait qu'un ingénieur résiste aux pressions pour ne pas mettre sur le marché des prototypes qui ne sont pas à maturité industrielle.
Or le fossé s'accroît avec des hiérarchies aux critères d'évaluation de plus en plus abstraits. A cela vient
s'ajouter l'arrivée de jeunes sous statut précaire, qui n'ont pas le même rapport au travail, ne se rendent pas compte par exemple des conséquences de la négligence de tel ou tel aspect et sont plus malléables pour le management.

Pensez-vous que le syndicalisme soit efficace pour contrer cela?

Le problème est que le syndicalisme est faible et par trop institutionnalisé. La plupart du temps il n'y a pas de syndicat

dans l'entreprise et quand ils existent, les syndicalistes cumulent souvent les mandats ou sont absorbés par une multitude de tâches qui font qu'ils ne sont plus au quotidien sur les questions du travail. Or, plus les gens se retrouvent seuls à défendre ces règles de métier, plus il y a des chances qu'ils basculent. Dans la campagne présidentiellecertains affirment qu'il faut réhabiliter le travail et on parle de la précarité de l'emploi, mais personne ne souligne le fait que le travail lui-même est soumis à dégradation. Or c'est sur le travail que les professionnels peu· vent construire des collectifs et des capacités de résistance. Les gens qui sont mis en situation de faire un travail de mauvaise qua-
lité voient leurs capacités de résistance affaiblies. Les syndicats ne prennent pas en charge cette conflictualité qui
est pourtant majeure aujourd'hui dans le monde du travail. Les gens affrontent donc seuls les évolutions de l'organisation du travail et le manque de prise en compte collective produit des décompensations. Cette montée de la souffrance au travail est pour le syndicalisme un appel à investir ce champ .•

PROPOS RECUEILLIS PAR REGIS FRUTIER

* Voir «Les coûts de l'Intensification du travail» de Philippe Davezies, article paru
dans la revue Santé et Travail, n° 57.



26/04/2007
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